vendredi 17 avril 2015

Un lapin-antilope qui bouscule la représentation de l'imaginaire collectif

Dans leurs vitrines à peine éclairées, les animaux hybrides de Thomas Gründfeld provoquent un certain malaise chez le visiteur du château de Oiron, plongé dans la pénombre.
Au delà de la critique sociale de cette œuvre intitulée "Misfit" (marginal, inadapté, inapproprié...) qui ironise sur le "Gemütlichkeit" (équivalent d'un "sweet home" à l'allemande qui a produit la tradition des trophées de chasse et des cabinets de curiosité outre Rhin), l'artiste joue avec les codes de représentation en prenant au mot la sémantique.




Usant par exemple de la traduction littérale du "lapin-antilope" américain (jackalope) ce n'est plus un "lièvre cornu" (nom français) que Grünfeld nous donne à voir, mais un lièvre à tête d'antilope, qui brise une image stéréotypée.
Cette chimère faussement cryptozoologique fait référence à une œuvre plus ancienne du château, et pourtant, elle n'a rien à voir avec ce petit lapin à corne tout mignon du plafond de la galerie voisine, datant du XVIeme siècle.
Ici, c'est le décalage qui crée le trouble.
En outrepassant les conventions qui pèsent sur l'imaginaire (on se retrouve dans le même état de désarroi face à la sirène de René Magritte: "L'invention collective", 1935) "Misfit" dérange par les questions qu'elle pose sur les limites: entre art et science, vrai ou faux, monstruosité et normalité, interprétation collective et vision personnelle...



Trophée d'un jackalope, à l'image de la légende


Gravure ancienne d'un lièvre à cornes
Illustration du Tableau Encyclopédique et Méthodique de Bonnaterre, 1789, qui désigne le lièvre cornu comme une race de léporidé à part entière 


Le papillomavirus est une maladie contagieuse qui fait apparaitre et croitre des protubérances, dont l'aspect peut faire penser à des bois de cervidé.


Issu des traditions de l'Europe germanique, le jackalope (Wolpertinger en Allemagne et en Autriche) est un animal chimérique très ancré dans les traditions américaines